Interrogé par l’AFP sur les présidentielles d’aujourd’hui, un Palestinien a eu cette lourde réponse qui apparemment le console de ses malheurs: «C’est la première fois que nous sommes perçus comme une démocratie. C’est important parce que dans les pays arabes les candidats sortants remportent les élections avec plus de 90% des voix, mais nous, nous avons la démocratie». Dite par un Palestinien qui vit dans les restes d’une cause commune, dans la moitié d’un Etat, dans le dixième de ses propres terres et avec le quart de ses droits d’homme vivant, cette phrase n’a rien d’une boutade, ni d’un luxe ridicule, ni d’une vantardise d’occasion. La Palestine qui a eu l’obligation d’incarner la cause arabe, a le droit d’en faire le procès cette fois-ci. Ce Palestinien a tracé le portait grandeur nature de la faiblesse des pays «frères».
Les élections palestiniennes qui se font sous les tirs et les chars, entre deux barrages et quatre incursions, entre trois enterrements et six raids, ont eu cette politesse de se faire dans la norme, c’est-à-dire avec un peu de démocratie alors que les Palestiniens ont presque le droit de guerre de laisser ce luxe à ceux qui ont une terre et un pays d’abord. S’il y a une partie qui a triché dans le jeu de la succession à Arafat, il faut la chercher du côté des Occidentaux qui veulent un Abbas qui écoute plutôt qu’un Barghouti qui dit non. Les Palestiniens, eux, votent en toute démocratie. Pour la bonne caricature, leur rendez-vous électoral est organisé à quelques jours de cette curieuse et dramatique protestation de politiques égyptiens qui se sont rassemblés devant leur parlement pour protester contre l’intronisation en cours de Jamal Moubarak, le fils de Moubarak père et la synthèse bénie entre le souvenir du Raïs et la sous-traitance pour l’appareil de Bush.
Les élections palestiniennes viennent encore jeter leur lumière crue sur ce qui s’est passé en Syrie après la mort de Assad le père et sur ce qui va se passer en Libye avec l’intronisation en douce de Saïf El Islam, le digne fils de Kadhafi. Les Palestiniens prisonniers choisissent librement leur président contrairement à leurs frères arabes libres qui ne peuvent pas le faire. Le monde arabe offrant ainsi l’image d’un formidable paradoxe où ceux qui ont un pays et une terre n’ont pas la démocratie, contrairement à ceux qui n’ont rien mais font l’effort d’avoir au moins cela. Ce choix électoral semble même parfois s’étendre à tout l’univers de l’Arabe, à ses choix possibles, et lui imposer une liberté nue ou un confort de cageot.
Par Kamel Daoud du Quotidien d'Oran